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L’archive photographique de Lautrec rejoint les pratiques du jeu aristocratique sur les apparences et les identités échangées à plaisir, preuve que vie et peinture n’ont pas à se plier aux limites ordinaires, ni à celles de l’avant-garde, ce que résume Thadée Natanson par « Tout l’enchante ».
Souvent réduit à l’état de chroniqueur et de contemplateur de la « culture de Montmartre», Toulouse Lautrec se voit limité à une approche sociologique de son époque. Pourtant, si l’on en croit sa correspondance avec Manet, Degas et Forain, ses ambitions esthétiques vont bien au-delà du naturalisme puissant. Son style est empreint d’une poésie incisive et caustique. Tout au long de sa carrière, il ne se départit pas de cette composante narrative et de ce désir puissant de représenter le temps, de le déployer en sa durée au lieu d’en figer l’élan sur la toile.
Galvanisé par cette énergie électrique du monde des danseuses et des inventions modernes, Lautrec a transcrit l’espace-temps en images.Son choix délibéré de grands formats lui a per- mis d’explorer l’histoire de cette société moderne aux multiples visages sans souci de bien- séance.Les maisons closes ont été pour lui l’occasion de rencontrer les femmes au cœur d’un paradoxe d’indépendance et d’autorité unique face à leur condition marginale d’esclaves des vices masculins.
Il célèbre comme Baudelaire leur rôle de prêtresses du plaisir et d’aristocrates de la luxure. Insatiable viveur, Lautrec a su rendre palpable ces éclairages modernes à travers l’électricité du cancan et cette fièvre endiablée d’une foule livrée à ses excès.
Cette folie de vitesse pré futuriste fait vibrer son œuvre au galop du cheval, dans le chahut des cabarets et au rythme des automobiles. Pourtant, même les machines ne parviennent pas à déshumaniser sa peinture et ses estampes demeurent à jamais de vivantes incarnations.
A travers la fragmentation subjective de ses images, Toulouse Lautrec a montré sa volonté de hisser la vie moderne vers ses nouveaux mythes. L’exposition révèle l’essence de ce précurseur du XXème siècle en son tourbillon d’images, offrant
à Toulouse Lautrec un espace de parfaite liberté.
Henri de Toulouse-Lautrec
Conquête de passage (Etude pour Elles) 1896 craie bleue et noire, et huile sur papier, marouflé sur toile; éclaboussures avec un matériau de couleur sombre en bas à droite 105,5 x 67,5 cm Toulouse, musée des Augustins
© Photo Daniel Martin


































































































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