Page 123 - Demo

Dès ses débuts, Richter s’impose comme un peintre qui refuse les
règles établies. Il peint à partir de photographies qu’il transpose sur toile
avec un flou volontaire, brouillant les contours de la réalité et donnant à voir
non pas le sujet lui-même, mais la distance entre l’image et notre perception.
Le flou, signature essentielle de son vocabulaire pictural, n’est jamais un
simple effet esthétique, il agit comme un voile, une résistance, une interro-
gation sur la possibilité de représenter fidèlement le réel. Parmi ces toiles,
certaines sont devenues iconiques comme « Onkel Rudi » (1965), portrait
d’un oncle en uniforme nazi, où le sourire figé se dissout dans une matière
picturale incertaine, ou encore « Tante Marianne » où la tendresse d’une
scène familiale se teinte de tragédie historique.
La décennie suivante voit naître des cycles emblématiques tels que « 48
Portraits » (1972), série de bustes d’hommes illustres reproduits en noir et
blanc, installés à la Biennale de Venise comme une galerie d’autorités figées
et muettes. À travers ce travail, Richter joue avec l’héritage muséal et acadé-
mique, tout en révélant la fragilité de ces images d’autorité.
Dans ses « Nuanciers » et ses « Peintures grises », il explore à l’inverse l’ex-
trême neutralité des toiles sans sujet apparent qui interrogent la peinture en
tant que pure surface colorée.
Dans les années 1980, il alterne paysages et portraits intimistes avec de vastes
abstractions, travaillées à la raclette. Les couches successives de peinture se
chevauchent, s’écrasent et s’arrachent, produisant des effets de profondeur
et de chaos maîtrisé. Des œuvres comme « Betty » (1988), portrait de sa fille
de dos en robe à fleurs, incarnent un sommet de ce dialogue entre intimité
et distance. Le visage de l’enfant nous est nié et c’est justement dans ce refus
que se loge l’intensité de l’image.
Gerhard Richter, Carotte (Möhre], 1984 (CR 558-2)
Huile sur toile, 200 x 160 cm Fondation Louis Vuitton, Paris
© Gerhard Richter 2025 (18102025) |